Omniprésence des drones dans ce conflit
Une « guerre moderne » du XXIe siècle
L’Azerbaïdjan récupère une partie du Haut-Karabakh, dont la deuxième ville, Chouchi. Les séparatistes arméniens gardent le contrôle de la capitale Stepanakert et d’un étroit corridor qui les relie à l’Arménie.
— France Culture
L’Azerbaïdjan et l’Arménie ont signé un accord de fin des hostilités dans le conflit du Haut-Karabagh : un « cessez-le-feu total » a été signé lundi soir 9 novembre, sous l’égide de la Russie.
À genoux militairement, l’Arménie s’est, certes, fait dicter les conditions du cessez-le-feu. L’évacuation sera totale des sept districts occupés par l’Arménie depuis la guerre de 1991-1994, avec la perte de morceaux du Karabakh lui-même, dont les bourgades d’Hadrout et surtout de Chouchi (la Choucha des Azerbaïdjanais), si chère au cœur des Arméniens pour son patrimoine culturel et religieux. Ne sera conservée qu’une seule route, celle qui passe par le corridor de Latchine, pour relier la République d’Arménie à la province indépendantiste enclavée en territoire ennemi.
— Régis Genté (Le Figaro)
L’Azerbaïdjan et le Bayraktar TB2 sortent victorieux du conflit du Haut-Karabakh
L’Azerbaïdjan a réussi à reconquérir une partie de l’enclave du Haut-Karabakh qui lui échappait depuis 1994. Bakou avait la supériorité militaire grâce au soutien sans faille de la Turquie du président Erdogan et à l’utilisation massive de drones.
Les Arméniens avaient conquis le Haut-Karabakh en 1994 à l’issue d’une guerre qui avait fait 30 000 morts. Cette fois, la Turquie a permis à l’Azerbaïdjan de s’imposer militairement. L’Arménie, elle, était isolée dans ce conflit.
— Gaïdz Minassian, spécialiste du Caucase (France Culture)
Un conflit gelé qui se dégrade rapidement
Le Haut-Karabakh, territoire séparatiste situé en Azerbaïdjan, est majoritairement peuplé d’Arméniens.
En 1988, alors que l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont encore des républiques soviétiques, une partie de la population du Haut-Karabakh demande son rattachement à l’Arménie, ce qui est refusé par l’Azerbaïdjan et l’URSS.
En 1994, soutenu par l’Arménie, le Haut-Karabakh obtient son indépendance - qui n’est pas reconnue au niveau international - au terme de six ans de conflits et de près de 30.000 morts. « Depuis, la ligne de front est restée figée, avec des flambées de violence ponctuelles » expliquent Antoine Hasday et Thomas Eydoux (Slate).
Le 27 septembre, après de premières escarmouches durant l’été, le conflit a dégénéré de façon très rapide, causant plus de 1300 morts depuis.
L’Azerbaïdjan aura donc fini par l’emporter. Bakou disposait, en plus du soutien turc, d’un avantage militaire clair sur l’Arménie : plus de moyens financiers, plus d’hommes et un matériel plus sophistiqué.
Grâce aux revenus du pétrole, l’Azerbaïdjan a considérablement investi dans son appareil de défense, notamment dans les drones et les munitions rôdeuses, ou « drones suicides ».
— Romain Mielcarek (RFI)
En plus de ses achats importants d’armement à Israel et à la Turquie, l’Azerbaïdjan a renforcé son industrie de défense nationale. « Le pays est aujourd’hui capable de produire une partie de ses équipements légers et commence même à fabriquer des drones » rappelait Romain Mielcarek, en 2017.
On a fait intervenir de manière massive les drones Bayraktar turcs qui ont fait la différence et qui ont également fait la différence en Libye.
— Gaïdz Minassian
Un conflit qui s’est joué sur les drones
Forcément, l’Arménie, qui a mené une guerre du XXe siècle et pas du XXIe siècle, a perdu au bout de six semaines de combat...
— Romain Mielcarek
L’utilisation intensive, par l’armée de Bakou, des drones israéliens et turcs a permi à l’Azerbaïdjan de prendre le dessus militairement. Antoine Hasday et Thomas Eydoux reviennent sur les drones utilisés.
L’IAI Harop
Au moins une centaine d’IAI Harop, le « drone suicide » ou « munition rôdeuse furtive » israélien, aurait été commandé par l’Azerbaïdjan :
Mesurant 2,5 mètres sur 3, l’IAI Harop est dotée d’une charge utile explosive de 16 kilogrammes, d’une autonomie de six heures, et peut attaquer automatiquement les radars grâce à ses détecteurs.
— Antoine Hasday et Thomas Eydoux
Les Orbiter
L’armée Azerbaïdjanaise s’est également dotée d’autres drones israéliens, les Orbiter.
Plus petits et moins puissants que leurs cousins Harop, les Orbiter-1K embarquent une charge explosive d’environ 2 kilogrammes.
Sa version d’observation et de détection des cibles au sol, l’Orbiter-3, est elle aussi utilisée par l’Azerbaïdjan. Israël lui en a livré une dizaine entre 2016 et 2017.
— Antoine Hasday et Thomas Eydoux
Le Zarba
Déclinaison locale de l’Israélien Orbiter-1K, le Zarba est par exemple un engin de renseignement léger made in Azerbaidjan. Les militaires utilisent ce type d’appareils pour repérer les manœuvres des Arméniens et guider leurs tirs d’artillerie.
— Romain Mielcarek
Le Bayraktar TB2
Dès le début du conflit, l’armée azerbaïdjanaise diffuséait sur les réseaux sociaux plusieurs vidéos montrant des destructions de véhicules arméniens par des Bayraktar TB2.
Largement utilisé en Libye, en Syrie ou contre les membres du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, le drone Bayraktar TB2, fleuron de la turquie, est sans doute l’une des pièces maîtresse ayant permi à l’Azerbaïdjan de reprendre le contrôle de cette province.
Le drone turc Bayraktar TB2 est aussi utilisé par l’armée azerbaïdjanaise au cours de son offensive sur le Haut-Karabakh. D’une envergure de 12 mètres, et long de 6,5 mètres, il appartient à la catégorie MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) avec une autonomie de 4000 km.
— Antoine Hasday et Thomas Eydoux
Une coallition Azerbaïdjan, Turquie, Israël, djihadistes...
La Russie, alliée de l’Arménie [1], pas plus de « l’Occident », ne se sont engagés dans le conflit, jouant une sorte de « neutralité d’équilibre ». « Des instructeurs, des forces spéciales, une assistance technique pour les drones » : la Turquie, elle, ne s’est pas cachée d’appuyer l’Azerbaïdjan et d’intervenir dans le conflit.
« Selon nos propres renseignements, 300 combattants ont quitté la Syrie pour rejoindre Bakou en passant par Gaziantep (Turquie). Ils sont connus, tracés, identifiés, ils viennent de groupes djihadistes qui opèrent dans la région d’Alep », a déclaré Emmanuel Macron.
— AFP, Le Parisien
La Turquie a donc été accusée par la France d’envoyer des combattants syriens - des « djihadistes » selon le président de la République française - au Haut-Karabagh pour épauler les forces de Bakou, ce que le président Recep Tayyip Erdogan a démenti.
Ce qui a aussi fait la différence, c’est l’irruption de 2000 à 3000 djihadistes proches de la Turquie dans le cadre d’une armée professionnelle et bien équipée qu’est celle de l’Azerbaïdjan. Vous ajoutez aussi l’armement israëlien. Donc il y avait une sorte de coalition Azerbaïdjan - Turquie - Israël - djihadistes, un atelage barroque.
— Romain Mielcarek
Une « guerre moderne » du XXIe siècle
L’Arménie a mis en place une armée de contre-attaque dans le plus stricte cadre soviétique, c’est à dire « artillerie et blindés », au lieu de mettre l’accent sur une armée d’attaque, c’est à dire une aviation et des drones. Elle paie cette défaillance stratégique fondamentale en croyant que les montagnes lui servaient de rempart. Ce qui est peut être vrai dans le cadre d’une guerre traditionnelle mais dans les guerres modernes, avec les drones, ce n’est plus le cas.
— Romain Mielcarek
Romain Mielcarek conclu qu’il pense « que l’ensemble des états-majors des armées du monde va regarder de près cette histoire de guerre dans les montagnes parce qu’on a vu une armée du XXIe sièce face à une armée du XXe siècle ».
S’il ne faut pas diminuer l’importance jouée par les drones dans ce conflit, comme en Libye, il ne faudrait pas non plus minimiser celui des mercenaires syriens envoyés par la Turquie pour prêter main fortes aux forces azerbaïdjanaises.
Après la Syrie et la Libye, Erdogan aura une nouvelle fois imposé son pays comme un acteur militaire incontournable.
EN SAVOIR PLUS
AFP, Haut-Karabakh : Vladimir Poutine confirme un accord de « cessez-le-feu total » entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, Le Monde, 10 novembre 2020
Régis Genté, L’Arménie a perdu des pans du Haut-Karabakh, Le Figaro, 10 novembre 2020
Stanislas Vasak, Mathieu Laurent et Rédaction, L’Azerbaïdjan et la Turquie sortent victorieuses du conflit du Haut-Karabakh, Journal de 22 heures, France Culture, 10 mai 2020
AFP, Un cessez-le-feu sous l’égide de Poutine consacre la victoire de l’Azerbaïdjan sur l’Arménie, Mediapart, 10 novembre 2020
AFP, Haut-Karabakh : Macron dénonce l’envoi « de groupes djihadistes », Le Parisien, 2 octobre 2020
Wassim Nasr, Djihadistes au Haut-Karabakh ? "Ce sont des mercenaires qui se battent pour la solde", France 24, 2 octobre 2020 (vidéo)
Romain Mielcarek, Karabagh : l’Azerbaïdjan en quête de supériorité militaire, RFI, 10 mars 2017
Nathalie Hernandez, édité par Marina Cabiten, Les drones tueurs de la Turquie : une arme décisive, mais aussi un business, France Info, 5 mars 2020
Antoine Hasday et Thomas Eydoux, Le conflit du Haut-Karabakh se jouera sur les drones et les munitions intelligentes, Slate.fr, 12 octobre 2020
Illustration : Bayhaluk, Bayraktar TB2 Runway, 6 November 2014
[1] La Russie est la puissance régionale dans le Caucase du Sud. Elle est une alliée militaire de l’Arménie mais a aussi de bonnes relations avec l’Azerbaïdjan, deux ex-républiques soviétiques.
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