John Zerzan et la confusion primitive

Ad Nauseam - 18/11/2010
Image:John Zerzan et la confusion primitive

Une critique de l’idéologue Zerzan
par Alain C.

"(...) l’objet de ce texte n’est pas d’avancer une nouvelle théorie de la révolution. Nous nous sommes simplement proposés de critiquer l’idéologue Zerzan, et nous considérons que c’est fait.

Nous voulions également ouvrir un débat sur des bases concrètes. Les bases sont là, le débat peut maintenant avoir lieu."

II. Aux Sources de l’Aliénation :un mixage idéologique

Avant de nous pencher sur le " fond " de l’idéologie zerzanienne, observons-en un peu la forme. Ce qui saute d’abord aux yeux, lorsqu’on feuillette ses livres, c’est la masse de citations qu’il emploie. Ainsi, dans Aux Sources de l’Aliénation ( nous emploierons l’abréviation S.A. ), il y en a près de 300, ce qui nous donne à peu près trois citations par page. Lorsqu’on emploie une telle masse de citations, c’est qu’on est soit scrupuleux à l’extrême, soit qu’on veut épater le lecteur par sa culture, lui donner l’impression qu’on a absorbé une masse de connaissances qui vont nous permettre d’en savoir plus que lui, d’avoir le dernier mot. Il nous est tous arrivés de croiser ce genre d’individu, qui dresse une sorte de mur de culture entre lui et son interlocuteur, se retranche derrière ce mur, pour éviter de se dévoiler, et pour dominer l’autre grâce à l’instrument culturel, employé comme une massue.

Zerzan se sert de ces citations pour donner à son discours par ailleurs décousu une apparence de scientificité. En outre, il se sert des auteurs qu’il cite comme le ventriloque se sert de ses marionnettes : ils apparaissent un instant, disent ce qu’on leur fait dire, et disparaissent. Les auteurs ainsi cités présentent également l’avantage de la crédibilité : puisqu’Untel l’a dit, il est inutile de discuter.

Jamais il ne démontre ce que ces auteurs avancent, les citations sont toujours faites hors contexte, et surtout hors de tout raisonnement. Zerzan ne produit jamais de raisonnement, ne démontre jamais rien : il exhibe des mots. Comme dans Futur Primitif, il pratique le terrorisme de l’évidence.

Au début du livre, il veut " déclarer d’emblée une intention et une stratégie : la société technologique ne pourra être dissoute (et empêchée de se recycler) qu’en annulant le temps et l’histoire. " Vaste programme, certes. L’homme ne manque pas d’ambition, ce que personne ne songerait à lui reprocher. Mais qu’est ce que tout ça signifie au juste ? Comment compte-t-il s’y prendre pour " détruire le temps et l’histoire " ? Compte-t-il le faire tout seul, ou avec d’autres ? Et quels autres ? On n’en sait rien. Ni cette " intention " ni cette " stratégie " ne sont développées par la suite. C’est assez décevant, mais bien caractéristique du fouillis de la pensée zerzanienne : il dit une chose, puis passe à une autre, par association d’idées, association qui le chasse vers une autre, ainsi de suite. Cette méthode naturellement le fait tourner en rond. Il rebondit de citation en citation, d’une remarque à l’autre, et à la fin de son texte on n’a pas avancé d’un pouce, et pour cause : tout était déjà là, dès le début. Et comme il ne remet jamais rien en cause, tout ne peut que rester en l’état. A notre connaissance, c’est là la définition même de la " réification ", concept marxiste dont il fait une utilisation abondante. Zerzan tourne en rond dans la nuit, et il ne consume rien d’autre que son temps, qu’il ferait mieux d’employer à autre chose.

Cette absence de méthode est également un des fondements de son idéologie. Il s’agit d’une idéologie du refus de la logique, comme " conscience aliénée ", qu’il exprime en citant Horkheimer et Adorno : " Même la forme déductive de la science exprime la hiérarchie et la coercition. " (S.A. p.46) Pourquoi pas, mais alors, pourquoi autant de citations d’origine scientifique ? Zerzan veut bien utiliser les découvertes de la science, quand elles l’arrangent, mais refuse la méthode scientifique, comme trop contraignante, ou comme " antinaturelle ". Il est en ceci semblable à tous les autres consommateurs, qui veulent les supermarchés sans la vache folle, l’électricité dans toutes les pièces sans les dangers du nucléaire, deux bagnoles par foyer sans les marées noires.

La logique et la déduction sont peut-être des instruments imparfaits, et certainement imprégnés de l’idéologie de notre culture, mais, pauvres de nous, c’est tout ce dont nous disposons. Sans ces instruments, ces méthodes, on n’aurait jamais rien su des conditions de vie des premiers humains, et Zerzan aurait été condamné à se taire, ce à quoi visiblement il aspire. Personne d’ailleurs ne l’en empêche.

Comme tous les consommateurs, Zerzan veut " vivre au présent ", dans le " mouvement bariolé de la vie ". (Essayez de répéter sans rire trois fois de suite ces mots : " le mouvement bariolé de la vie ") Ce " mouvement bariolé " est bien plutôt celui de la succession des vidéo-clips sur MTV. Au mieux, il évoque une bande de hippies à foulards colorés dévalant une pente fleurie sur l’air de la Petite Maison dans la Prairie, pour aller se casser la gueule dans la décharge située en contrebas.

L’affinité de Zerzan avec le spontanéisme baba-cool, il l’affirme lui-même en p.41 de S.A. : " Par bonheur, également dans les années 60, d’aucuns commençaient à désapprendre comment vivre dans l’histoire, ainsi que cela se manifesta avec la mise au rancart des montres-bracelets, l’usage des drogues psychédéliques et, paradoxalement peut-être, ce slogan à l’emporte-pièce lancé par les insurgés français de mai 1968 : " Vite ! " "

Faut-il revenir sur l’introduction avérée par les services secrets américains des drogues psychédéliques dans les campus américains ? Faut-il encore revenir sur la catastrophe que furent ces fameux " mouvements de la jeunesse " des années 60, qui n’eurent pour effet que de former une nouvelle classe spécialisée de consommateurs, et d’ouvrir ainsi de nouveaux marchés au post-fordisme, tout en maintenant durablement la société dans son abrutissement ? Et ce " Vite ! " de 68, qu’est-il sinon l’annonce de l’impatience débile des consommateurs de fast-food, de vidéo-clips, et de pensée prédigérée à la sauce Zerzan ?

Zerzan voudrait faire croire que nous sommes aliénés par l’empire de la raison. Et effectivement, le monde capitaliste est dominé par la logique de l’économie, et plus concrètement par la nécessité vitale pour lui de l’extraction toujours croissante de plus-value. Mais cette rationalité dominante se fait sur un monde d’individus de plus en plus privés des outils de la raison, sur l’appauvrissement du langage au profit de son ersatz médiatique, et sur l’illettrisme qui se développe sous toutes ses formes. La société capitaliste nous appauvrit non seulement matériellement, par l’abondance falsifiée comme par le manque pur et simple, mais aussi intellectuellement. Ce que Debord appelait " la perte de tout langage adéquat aux faits " est un des aspects de la misère capitaliste, et un des aspects qui assoit le mieux sa domination. Nous devons lutter contre cet appauvrissement. Zerzan en appelle à encore plus de pauvreté mentale. Il en donne lui-même l’exemple par ses textes, misérables hachis de textes antérieurs, véritables " zappings " de la pensée. La " pensée " de Zerzan est un pur produit de l’aliénation contemporaine.

[Source : RA Forum ]

Alain C. (première parution : 2000)

A lire également sur infokiosques.net

 18/11/2010

Articles référencés 

Aux origines du 1er Mai : Les Martyrs de Chicago
1er/05/2025
SEGOT Louis, couvreur, anarchiste et déserteur de Roanne, réfugié à Genève
1er/05/2025
LE VOYAGE DE SORÊ
1er/05/2025

 Ad Nauseam | 2008 · 2022